Cher Adama Traoré, il faut que je te parle de ta sœur
Cher Adama Traoré,
Bien que tu sois décédé depuis plusieurs années, je tiens à te signifier, dans un premier temps, tout mon respect ; et à t’envoyer, où que tu sois, toutes mes salutations.
Je t’écris pour te donner des nouvelles de cette terre que tu as quittée. De notre vivant, on s’inquiète tous de savoir quelle trace on va laisser, si on se souviendra de nous longtemps, et si ce sera en bien. Marc Aurèle, à son époque, était persuadé que tout le monde l’oublierait rapidement ; et finalement, près de deux millénaires après sa mort, c’est un des philosophes les plus consultés. Alors comme tu vois, il ne faut pas désespérer.
Alors je tiens à te rassurer, Adama, et à te certifier une chose : c’est que tu es loin d’être oublié et que ta mort aura bien servi.
Grâce à ton trépas prématuré, ta sœur a pu devenir une vedette de mode, elle a réussi à réunir Mac Donald’s et Lénine en un ; posant fièrement avec des louboutins aux pieds, tout en gardant le poing levé de la révolution.
Tu vois, Adama, la célébrité peut s’acquérir par le fait même de sa propre mort ; et cette mort de permettre ensuite à des gens bien vivants de faire fortune.
Le commerce des morts, ta sœur sait parfaitement surfer dessus, elle qui avait déjà bien profité de la tienne, et dont le business a pris un éclat international avec celle de Georges Floyd.
Quelle aubaine que cet Américain qui a rendu son dernier soupir sous le genou d’un policier et surtout sous l’œil d’une caméra. Là, tu vois, Adama, tu aurais quand même pu faire un effort ; avec une vidéo de toi dans tes derniers instants, ta sœur aurais peut-être (mais est-ce si sûr ?) pu s’élever encore plus haut et se faire une thune monstre.
Mais enfin, c’est déjà pas si mal, elle a pu partir en vacances avec le célèbre "journaliste" de rue, Taha Bouhafs. Comme quoi, le malheur des uns peut faire le bonheur des autres, et lorsque l’on fait commerce de la mémoire des morts, ceux-ci ne risquent pas de venir se plaindre d’abus.
C’est d’ailleurs à se demander où en serait cette chère Assa Traoré sans le petit business monté en ton honneur. (Tu sais, on vend même des T-shirts à ton nom dans les manifestations.) Et toi, Adama, où en serais-tu ? Est-ce que tu te serais rangé de tes « petits délits » de recel, violences volontaires contre les forces de l’ordre, outrages, extorsion avec violences, menaces de mort, conduite sans permis, usage de stupéfiants, vol à la roulotte et viol répété de ton codétenu ? (src)
Qui sait ?
D’ailleurs, savais-tu, là où tu es, que ton cousin Mahamadou Fofana est mort, lui aussi ? Malheureusement, cette fois-ci, le coup n’a pas pris, le filon de l’indignation s’est vite tari et on n’en entend déjà plus parler. Ah, cette chère Assa a le deuil sélectif. Il semble décidément que les attaches familiales soient directement corrélées au potentiel financier véhiculé par le nom du défunt.
Il n’est pas étonnant, à cette chère Assa Traoré, de lui voir toujours le même regard inexpressif, la bouche légèrement entrouverte, comme pour laisser filer son dernier soupir, comme si son âme, indignée du sinistre commerce par lequel elle tire son train de vie, l’avait déjà quittée.
Le commerce de la rancune
Au fait, sachant que Mahamadou fuyait la police le jour de sa mort, et que le jour de la tienne, la police venait arrêter ton frère Bagui, et sachant que le reste de ta fratrie n’est pas non plus tout blanc ; c’est à se poser des questions sur les Traoré… Vous vous plaignez "d'acharnement judiciaire" mais c'est peut-être simplement qu'il y a matière à faire... Un épicier ou un boulanger n'a pas ce genre d'ennui, fut-il noir, blanc ou fuschia de peau.
Parce que, de toi à moi, si ta sœur est si malheureuse dans ce pays, selon elle, si terriblement raciste qu’est la France, je me demande, avec tout le fric qu’elle s’y est fait grâce à ta participation involontaire, pourquoi elle ne retourne pas au Mali, pays de ses ancêtres, où elle serait, selon toute vraisemblance, bien plus à son aise.
Peut-être n’y trouve-t-on pas de boutiques de louboutins ou de maroquinerie de luxe…
Peut-être aussi, la vie est-elle bien plus dure en Afrique en tant que noir parmi les noirs, que dans cette si méchante France en tant que noir parmi les blancs.
Peut-être qu'en Afrique, le commerce de la rancune des Assa Traoré, des Danièle Obono, des Fatima Benomar, des Houria Bouteldja ou des Rokhaya Diallo, n'y pourraient prospérer ; ces dames y seraient sans doute perçues comme des cruches capricieuses et friquées tout justes bonnes à être copieusement moquées dans un premier temps, superbement ignorées dans un second temps. Il est amusant de constater que toutes ces personnes qui critiquent le si méchant Occident et ont tout le pognon nécessaire pour s’en barrer s’y attachent dans les faits plus vigoureusement que le mollusque sur un rocher giflé par les vagues.
La France, ce pays qu'il est si pratique de détester
Je peux bien vous reconnaître, par honnêteté et sans en concevoir de gêne, que la France, comme toutes les nations du monde, a eu ses histoires avec le racisme ; et même qu’elle en aura encore très certainement, puisque les chances que cela arrive sont mécaniquement d’autant plus élevées que le pays est ethniquement hétérogène. Et la France, grâce aux accords d’Evian, au regroupement familial aux accords de Marrakech et à la présence quasi nulle de contrôle aux frontières, est peut-être un peu trop hétérogène pour sa propre santé. On constate en tout cas, que de « douceur de vivre à la Française », il n’en est plus question depuis longtemps, et que cette formule, bien peu aujourd’hui s’en souviennent.
Il faut lui reconnaître, à la France, que le travail de mémoire et d’éducation qu’elle effectue est absolument sans égal à travers le monde ; à part peut-être pour les pays proches ; Belgique, Hollande et Suède en tête. Est-ce à dire qu’elle a beaucoup plus que n’importe quel autre pays à se faire pardonner en matière de racisme et de colonialisme ? Où est-ce plutôt, qu’elle est seule à effectuer dans de telles proportions ce travail qui s’apparente plus à de la sape, à de l'autosabotage, qu’à la véritable et saine édification de valeurs plus humanistes. Il suffit de se pencher sur la situation actuelle de la Suède, et des problèmes qu'elle rencontre, elle qui n’a strictement aucun passé colonial à se reprocher pour en tirer un avis un peu plus clair...
Regardez la progression des titres en fonction des dates, c'est... frappant.
Votre instrumentalisation mortifère – car oui, il s’agit bel et bien d’instrumentalisation – ne vise qu’à taper sur l’élève qui se défend le moins et qui vous tend déjà ses fesses pour se faire botter le cul. Quel mérite y trouvez-vous ? Y voyez-vous vraiment là la démonstration d’une lutte honorable pour défendre une cause au péril de votre vie ? Allons, un peu de sérieux...
D’ailleurs, je me permets un aparté pour cette chère Assa, et lui signifie que si son maquillage et ses chaussures lui ont coûtés trop cher et qu’elle n’a plus de sous pour se payer un avion, beaucoup de monde serait ravi de l’aider à prendre son envol. Car voyez-vous, nous, en France, on n’est pas contrariants, et on sait écouter la détresse des gens.
Mais la réalité, c’est qu’il n’y pas besoin de cotiser, et que ta sœur, cher Adama, se trouve bien mieux à rester en France pour s’en plaindre, qu’à partir en Afrique où la vie y est bien moins confortable, même quand on n’appartient pas à une minorité soi-disant opprimée. Les manifestations aux Champs-Elysées, c’est quand même plus sympa que la brousse, et puis si on est fatigué, on peut toujours se payer un café en terrasse avec l’argent des T-shirts estampillés au nom de Georges Floyd, Adama Traoré ou BLM.
Le business de l’indignation a du bon. Ainsi mieux vaut-il rester dans les pays où s’indigner rapporte si gros pour une prise de risque quasi nulle. En Afrique, les indignés s’expliquent à la machette, c’est un peu moins safe, et on risque de s’y abîmer sa belle coupe afro, ce serait dommage. Vois-tu, Adama, tu aurais subi là-bas le même sort pour les mêmes « petits délits » il n’est pas sûr que la moue boudeuse et les plaintes de notre bonne Assa auraient pu y trouver autant d’écho.
Loué soit la France et sa si accommodante propension à la repentance qui l’entraîne à supporter l’abus et les outrances avec une si noble tolérance.
Ah, Adama, sois content : tu n’as peut-être pas réussi ta vie, mais grâce à ta mort, ta sœur a réussi la sienne.
le 10 juillet 2021 par Arthur de la Rivaudière et Tellurix